« Hey Madmoiselle, t’es charmante ! Ça te dirais une glace à la menthe ? »
Quelle femme n’a pas été instantanément charmée par une déclaration de ce genre, à la fois fougueuse et subtile ? Et encore d’avantage si le Don Juan en question accompagne son « accroche » d’une démarche de ouistiti sodomisé, ce qui aura pour effet d’amplifier l’effet aphrodisiaque de sa diatribe.
En vérité très peu de femmes ont résisté à une telle débauche de sentiments poisseux, mes bons lecteurs, c’est la raison pour laquelle nous allons étudier aujourd’hui la façon dont nos chers amis de banlieue s’y sont pris pour faire fondre chaque femme sur leur passage après avoir ouvert la bouche.
Comment ces simples phrases, incroyablement travaillées par de longues heures de réflexions aboutissant en un travail d’artisanat verbal, peuvent avoir un tel effet sur la gente féminine ? A ce propos, je vous renvoie à l’article « comment séduire » qui vous permettra de pécho la donzelle de votre choix sans pression aucune en moins de trois heures.
Ainsi, un travail épistémologique s’impose afin d’accorder crédit à une thèse devenue de plus en plus plausible : le « Hey mademoiselle » est le digne héritier de l’amour courtois d’antan.
Revoyez ces images d’Épinal issues des tréfonds de votre enfance : le prince à mandoline jouant à cœur ouvert en bas d’un rempart, déversant ses plus belles compostions à sa chère et tendre, prisonnière d’une froide chambre de pierre.
Et si je vous disais que toute cette magie n’a pas disparu à la fin du moyen-âge ?
En effet, ces formes archaïques ont mutées avec les années et perdurent sous une forme plus « street » que sa version originale. Les culottes de soie ont laissé place aux joggings slim, les mandolines se sont muées en Iphone 6S crachant du doux Kaaris dans les rues bordées de HLM plus vétustes que les donjons de l’époque.
Esthètes, poètes et autres amoureux de littérature romanesque, apprêtez-vous à pénétrer dans l’antre de la volupté : la banlieue.

I/ Historique des zones péri-urbaine et approche géographique du « hey madmoiselle » :
Apparu dans les cités françaises à l’aube des années 90, ce charmant harcèlement de rue a maturé et été mis au point dans la zone la plus redoutable de la planète.
En effet, un architecte – tombé par mégarde dans les égouts parisiens – a décidé de s’inspirer de cet univers moisi, putride, étroit, pollué et isolé du reste de monde pour concevoir son nouveau projet d’urbanisme : la banlieue était née.
Rapidement peuplée par des travailleurs ayant évolués en thugs sanguinaires plus vite que la propagation du paludisme en Malaisie (aussi connu aux USA sous le nom de « from human to racaille »), ce paradis terrestre est resté néanmoins peu attractif pour un public féminin. Ces incompréhensibles garces ont préféré se terrer dans la morosité des centres villes plutôt que d’aller explorer de joyeuses bar HLM délabrées. Ainsi, lorsque les premiers banlieusards (les « pères fondateurs ») s’aperçurent que les femmes préféraient davantage la présence de boutiques de chaussures que la leur, ils développèrent des types de séduction basée sur la technique du sniper (c’est-à-dire que la femme approchée doit tomber instantanément amoureuse du séducteur dès la première phrase d’approche).
II/ Techniques mise en œuvre, approche pratique :
« L’amour n’est qu’une étape, un arrêt momentané sur la route de la vie » disait Octave Uzanne dans « Le bric à brac de l’amour ».
Vous l’aurez compris, arrêter une personne pressée est un composant essentiel d’un harcèlement bien préparé. Car il s’agit bien de provoquer cet « arrêt momentané » comme disait ce cher Oscar.
Pour exécuter une telle prouesse, le prétendant doit effectuer un long travail en amont. Les meilleurs le reconnaissent : 90% du travail se trouve dans une bonne préparation physique et mentale.
PuüurBogossdu93, qui a souhaité répondre à mes questions ; insiste particulièrement sur l’endroit où se trouver :
Cynic Propaganda : « Que peux-tu nous dire sur les lieux stratégiques qui optimisent l’impact de l’accroche ? »
Abdel Love : « Faut repérer où y a dl’a keh fraîche [une femme ravissante]. Après, frère, tu te cale avec tes zincs [ce divertissement peut se faire entre amis]. Genre porche ou banc, tu vois ce que j’veux dire ou pas ? [inquiétude que je ne saisisse pas la complexité de son propos]
C.P : Je vois ce que tu veux dire. Utilises-tu des amorces pré-harcèlement ou préfères-tu la technique de la « charge du samouraï en colère » ?
Abdel Love : « Bah, en fait, moi chu plutôt en mode posayy [absence de stress dans l’action]. P’tit sourire, p’tit sifflement, au calme. Si la go fait trop sa meuf [manifeste peu d’intérêt], bah j’la suis mais en mode tranquille et là j’commence à lui dire des trucs, wallah [demande subreptice à Dieu de filer un coup de pouce]… »
C.P : « Quels genre de trucs ? »
Abdel Love : « Bah… genre tu vois… des punchlines de lover… genre Hey mademoiselle, tu ferais pas de la boxe ? Parce que tu viens de mettre KO mon cœur ! »
Tel un fusil de précision entre les mains de Chris Kyle, le cœur de la go en question vient de voler en éclat. Grâce à cette accroche PuüurBogossdu93 est rentré au bras d’une adorable donzelle au teint aussi orange qu’un coucher de soleil et avec qui il savourera un maxi best of le soir même (l’ambiance d’un restau chic est propice pour se remettre de ses émotions).

III/ Analyse comparative des accroches et étude de leur pertinence :
Nous venons d’analyser l’importance des circonstances préparatoires. Maintenant, décomposons ces petits bijoux de francophonie.
Chacune d’entre elles partagent un « tronc commun », définit par les linguistes comme la racine inaliénable d’une bonne accroche. Il s’agit du « hey madmoiselle ». Destiné de prime abord à attirer l’attention, il peut être richement décoré par des adjectifs venant qualifier le prétendant comme étant un poète assumé ; exemple : « hey ma p’tite madmoiselle » ou « hey qu’elle est mignonne la demoiselle ».
Cette phrase est suivi de l’obligatoire « t’es charmante ». La clé du succès est en bonne partie contenue dans cette suite quasi-insignifiante. Technique du miroir : la femme se retrouve face à sa propre beauté et à son pouvoir d’attraction. Se pensant moche et repoussante, elle découvre soudainement que son unique raison de vivre (son physique) est apprécié par un bel étalon italien, tout de Adidas vêtu.
La suite vient « achever la victime engourdie » pour la finir avec panache.
Exemples éloquents :
« Hey madmoiselle, t’es charmante, ça te dirai une glace à la menthe » = mon pouvoir d’achat quasi illimité me permet de t’offrir de manière désintéressée une denrée alimentaire qui te permettra de survivre (et comme une glace est portative, je pourrai t’emmener jusqu’à mon clic-clac dans la foulée).
« Hey Madmoiselle ! Te fais pas de bile ma belle, ton boule c’est d’la balle. » = Tout en alexandrins, il s’agit d’une ode au postérieur de la fille qui se retrouvera remplie d’allégresse en sachant qu’une simple sortie à Carrefour peut lui rapporter des strophes sur ses fesses.
« Hey Madmoiselle ! Ton père il vend pas des biscottes ? Parce que t’es craquante » = Très classique, dans la plus pure tradition, le prétendant fait intervenir le père de la fille comme étant à l’origine d’une qualité sous-jacente. Marche avec la plupart des métiers (jardinier, plombier, cosmonaute…).
« Hey madmoiselle ! T’as de belles jambes, elles ouvrent à quelle heure ? » = Reprenant avec habileté l’unique passion des femmes (les boutiques), le Don Juan propose à sa cible de se mettre à la place d’un shop quelconque où il est convenu d’entrer pour faire chauffer la carte bleue. Sauf que lui voudra payer en liquide.
« Hey la miss t’as un 06 que je puisse te la glisser entre les cuisses ? » = Tout en finesse et honnêteté, ce Verlaine propose de différer le temps de la saillie en laissant entrevoir à la demoiselle transie d’amour un bref temps de flirt par SMS. Le numéro acquis, il pourra aisément la revoir.
La constatation que je fais à l’aune de ces exemples est sans appel : rimes, images fantasmatiques et promesses folles se dégagent de ses vers raffinés. C’est dans cet habile mélange de respect, d’humour léger et de désir ardent qu’éclosent les fleurs de la passion.
Les pick-up artists maîtrisant cet art complexe sont donc bel et bien les dignes héritiers des princes et troubadours soupesant chaque mot, chaque terme, comme le serrurier consciencieux œuvrant à fabriquer la clé du cœur de l’être aimé.
Et si l’ouverture résiste il « y aura toujours de la pute sur ton chemin » comme disait Rohff.